On transporte des graines sous les semelles des chaussures ou dans le pli des pantalons, toutes sortes de micro-organismes, de virus ou de bactéries. On n’arrête pas de les faire voyager. Et à la fois ça augmente la diversité localement, et à la fois ça met une certaine diversité indigène en difficulté. Pas toujours, mais parfois. Mais ce n’est pas une destruction. Les plantes et les animaux exogènes n’ont pas une action létale. Chimiquement, ils n’interviennent que très peu. Un poison chimique, ça c’est violent. Ça tue tout et ça détruit vraiment. Une plante qui vient d’ailleurs, même si elle prend de la place, elle ne détruit pas un milieu. Elle le transforme. Ce n’est pas la même chose. Il ne faut pas écouter ces discours actuels sur l’envahissement des espèces exogènes, qui visent à établir des principes d’éradication : on remet les étrangers à la frontière… C’est la même idée et c’est tout à fait inquiétant. Je ne travaille pas du tout dans ce sens-là. Depuis très longtemps, je dis que ce n’est qu’un point de vue culturel, un peu nerveux et mal fondé, très inquiétant dans la mesure où il est parfaitement raciste.
La diversité culturelle est similaire. De la rencontre d’êtres venus de partout naît un accroissement de la diversité culturelle locale, et donc des hybridations, de la même façon qu’il y a des hybridations avec les plantes et les animaux qui viennent d’ailleurs. Ce n’est pas forcément très rapide, ce n’est pas forcément fertile, mais c’est quelquefois très intéressant. La culture beur par exemple, avec tout un registre, une attitude, un langage, ça n’existe que chez nous finalement, ça n’existe pas dans les pays d’où sont originaires ces personnes. Je connais bien le Maghreb. Il n’y a pas de beurs au Maghreb. Cela a un intérêt pour ces raisons-là, ça ajoute quelque chose dans le processus de l’invention, qui va avec l’évolution.
Constance Heau, « Entretien avec Gilles Clément » dans Thierry Paquot et Chris Younès, Philosophie de l’environnement et milieux urbains (La Découverte, 2010) : p. 165